Qui va se souvenir?…

portrait crayon soluto Alphonse Boudard

« … Les êtres s’effacent, on a beau conserver leur os dans des caisses d’ébène, graver leur nom dans la pierre, ça ne dure que la vie des suivants… des quelques survivants… le souvenir se garde au cœur, dans un petit coin… le visage, l’image ne durera que ce que va durer votre existence… un passage, une passade de je ne sais quel dieu féroce. Alors, on s’accroche à son papier, on griffonne, on s’efforce de faire revivre. Une entreprise de fou, tout est déjà en charpie, tout s’enfloue, se déforme… une photo qui s’extirpe d’un carton jauni, brûlé par le temps. Le papier ça meurt aussi, ça dure un peu plus que les roses… si peu ! »

Alphonse Boudard Mourir d’enfance 1995

9 réflexions au sujet de « Qui va se souvenir?… »

  1. Milène.

    Moi ! Moi, je vais me souvenir… Les souvenirs se détricotent parfois, mais pas tous ! Ils restent les voix, les rires, les odeurs aussi et puis des émotions… Les boîtes à trésors ne sont jamais définitivement fermées. C’est drôle, j’ai noté ce livre de Boudard sur ma liste, pas plus tard qu’hier, je file le chercher ! Le texte est bien choisi et ce dessin Soluto, m’émeut terriblement… parce que d’autres de mes souvenirs reviennent en mémoire… Merci.

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    1. soluto Auteur de l’article

      Ah, Milène, je ne suis pas si optimiste… Je crois malheureusement que tout fiche le camp par le grand trou tourbillonnant du temps… Le dernier qui part emmène ses souvenirs avec lui. Certes, il reste la littérature, les photographies, maintenant les vidéos qui serrent le cœur. Chacun pourra bientôt chérir son petit bout de mort. Même pas sûr que ce soit une si bonne chose. C’est parfois encombrant les souvenirs. Ça pèse. On dit que ça vient nourrir les inconscients des survivants, pour le pire, rarement pour le meilleur. Mais enfin le texte de Boudard est magnifique. Il m’a cueilli. Comme vous le savez sans doute j’aime beaucoup cet auteur. Accrochez-vous, il n’est pas réédité. Je trouve mes exemplaires au gré des rentrées que font les bouquinistes havrais… Autant dire qu’il faut que je prenne patience ! A très bientôt…

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  2. flora/rozsa

    Cet extrait (très beau) correspond presque mot par mot à l’idée que j’ai souvent ressentie et exprimée sur mon blog: notre rêve de survivre à notre mort. Notre inextinguible et vaine soif d’éternité… C’est pour cela que nous peignons, que nous écrivons, pour en attraper un lambeau, du moins son illusion…

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    1. soluto Auteur de l’article

      Chère Flora, croyez-vous vraiment que nous ayons soif d’éternité ? Qu’en ferions-nous ? Je crois au contraire que nous aspirons profondément à la mort, qu’elle nous travaille en profondeur, qu’il nous tarde même, à l’occasion de voir nos servitudes s’achever. Nous ne ratons jamais une belle occasion de nous pleurer par avance. Nous aimons la nostalgie, la mélancolie ne nous déplait pas. Bien sûr nous nous en défendons mais voyez notre goût pour la guerre, la médisance, le mensonge, regardez notre besoin de corrompre, d’anéantir notre prochain. On boit, on fume, on conduit vite, on se maltraite, on se précipite dans les plus pénibles aventures. Nos conduites sont ordaliques. Les plus faibles cèdent à leurs penchants, les autres luttent contre eux-mêmes. Les progrès de la guerre sont plus foudroyants (au propre et au figuré) que ceux de la médecine. Il faut beaucoup de ruse pour survivre. On doit inventer des lois, s’éprendre de la beauté et distribuer ou recueillir la semence bon gré, mal gré afin de se prolonger dans une progéniture qui n’échappera pas à son lot de souffrances. Nous donnons la mort plus sûrement que nous donnons la vie. La première est toujours certaine, la seconde peine à prendre. Laisser quelques traces, quelques phrases, quelques mots bien troussés, des dessins, des photos c’est témoigner de notre vanité… Et peut-être rien de plus… C’est jeter des bûches au feu pour alimenter le grand brasier. Et bravo pour votre blog, Flora, dont j’aime la tonalité si particulière.

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  3. Célestine

    C’est humain de vouloir qu’on se souvienne de nous, et comme beaucoup de choses humaines, c’est vain.
    A moins d’être Napoléon ou Toutankhamon, on n’échappe pas à la poussière du temps.
    Si on passait son temps à jouir de la vie plutôt que de se torturer le bulbe à laisser une trace posthume, le monde irait sans doute mieux.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. soluto Auteur de l’article

      Savez-vous, chère Célestine, qu’en me torturant le bulbe il m’arrive d’avoir le sentiment intense de jouir de la vie ? Et qu’à l’inverse certaines ivresses faciles, auxquelles j’aspirais naïvement, me font souvent mourir d’ennui ? La vie de félicité des jouisseurs acharnés m’ennuierait, j’en ai peur…Celle de ceux qui sont obsédés par leur postérité aussi, remarquez… Bien à vous Célestine… (et hop, je file sur votre blog…)

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      1. Celestine

        Ouh la! Vous avez dû tomber en plein débat (stérile? ) sur l’art monumental de Claes Oldenburg …
        Revenez donc aujourd’hui, c’est plus calme.
        Et je cite Picasso.
        Bises célestes
        ¸¸.•*¨*• ☆

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