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Ailleurs je perds mon temps…

portrait soluto huile peinture

Huile sur toile 24 cm x 30 cm

Quand je comprends qu’il est bien tard, que les années qu’il me reste n’en finiront plus de se jeter sur moi pour mieux m’éviter, que je sens les regrets sédimenter au fond de mon cœur, je ne suis bien que là, arrimé à ma chaise, sur mon tapis de bambou, à distance de mon chevalet d’un demi bras.
Cinq litres de white spirit en bidon sous la main gauche, mes couleurs dans leurs bacs sous la droite, l’essence et l’huile dans leurs godets, les pinceaux en bouquet dans leurs pots, le front sous la lampe et ma palette chargée sur mes genoux j’attends.
Je me débarrasse du monde comme il se débarrasse de moi.
C’est un processus, pas même une fiction.
L’impensé, à coups de lignes et de masses, s’ordonne, trouve sa cohérence, se dévoile. C’est un mouvement inquiet qui cherche son apaisement par un saisissement. Je ne veux rien sinon glisser hors de moi, guidé confusément par la vibration des couleurs, par l’ivresse d’un geste délié, d’un trait retenu. Je suis dans la pâte que j’écrase sur la trame de la toile, dans la soie du pinceau, dans la main qui porte mon désir, dans l’image qui émerge.
Je me plais là, infiniment paisible, en retrait des pensées, à camper à l’abri des mots, baigné dans la sensation intense d’être au bon endroit, au bon moment.
Ailleurs je perds mon temps…

Ce que c’est qu’un portrait ressemblant…

portrait soluto huile peinture

Terre de Sienne brûlée, bleu de cæruleum, jaune de Naples clair, blanc de zinc…
Dans le double godet à palette je verse à gauche une cuiller d’essence et à droite une lichée de sauce maison. J’ordonne les masses, vite, et je place d’emblée les yeux sous le grand front. Je pose les ombres, d’abord les ombres. Grises, bleues, froides pour ne pas peser. Je ne soigne pas ma touche et frotte le pinceau le moins docile sur la toile qu’un premier coup de chiffon, chargé de titane et de brun, a graissé. Je brosse maigre dans le grain serré du lin. La pensée suspendue, je laisse ma main, mon œil, forcer des correspondances intimes, secrètes.
Je me confie, sans y croire, au hasard.
Je vois comme au spectacle le portrait qui émerge et s’installe face à moi. Je cille souvent devant celui qui durcit peu à peu son regard.
D’ordinaire je lutte d’abandon pour saisir une ressemblance. Je m’acharne tendrement, par des biais, des astuces, des calculs, à retrouver un air familier. C’est toujours de peu que je rate l’impeccable. Pour ne rien boucher, pour ne pas salir, pour ne pas gâcher je me convaincs de suspendre le geste. L’outil plonge dans son pincelier avant la fin.
Pour ce portrait rien de tel puisque je ne m’étais assigné aucune tâche de ce genre. Ne rien conquérir, peindre pour peindre, non pour dépeindre mais pour se déprendre. Vacance de l’âme à l’atelier. Plaisir du chant des couleurs.
Pourtant, pendant la minute de relâche, j’ai vu apparaître à travers la vapeur d’une tasse de thé brûlant le portrait de mon père enfant. Mon regard en a été immédiatement modifié. Je n’ai plus pu considérer pour eux-mêmes les artifices, tons, valeurs, masses, mis en œuvre. Cette ressemblance frappait obstinément à la toile, s’y invitait, s’imposait fermement, brouillant le pur travail de peinture auquel j’avais cru m’adonner.

Je me revois enfant, allongé sur mon cosy-corner, tournant les pages d’un album en maroquin. Réminiscences photographiques… Là, mon père est contre un mur, sérieux, le cheveu blond cranté, le regard clair, en habits de dimanche, veste droite et culotte courte. Il a sept ans, huit ans tout au plus. Plus loin il est avec ses sœurs qu’il dépasse de deux têtes. Derrière eux on voit des piquets de clôture couchés, un herbage, une ânesse et ma grand-mère avec un seau. Ailleurs il tremble sur un gros cheval de labour monté à cru. Il se cramponne aux crins le temps de la photo.
Partout le même regard pénétrant, le même sérieux, la même présence déposée malgré moi sur la toile.
Par je ne sais quelle fantaisie inconsciente, proche de l’acte manqué sans doute, je l’ai convié à l’atelier. Il est pris dans les mâchoires du chevalet. Ses yeux gris-bleus plongent dans les miens, m’examinent prudemment. Nous voilà nez à nez.

Ceux qu’on porte sont prompts à surgir malgré nous. Souvent ils parlent par notre bouche, se glissent dans nos gestes, se mélangent à nous. Nous ne reculons devant rien pour qu’ils manifestent leur ubiquité ou pour qu’ils se survivent.
Et c’est en méconnaissance de cause qu’ils se ressemblent si bien.

Brassens, des pleines bouches de mots crus…

Brassens portrait soluto dessin encreEncre de Chine, 21 cm x 29,7 cm 2014

Enfant j’aimais déjà les chansons. Dans ma famille, d’ailleurs, on chantait beaucoup. En fin de repas dominical mon grand-père attaquait au débotté La ratatouille en picard ou La sérénade de la purée. Ma grand-mère suivait avec La chanson des blés d’or et Les montagnards que la tablée reprenait en chœur. Comme tout le monde je donnais de la voix, porté par le plaisir de vibrer à l’unisson d’une famille qui était tout mon horizon. Un oncle musicien prenait la tierce, un cousin sortait son harmonica, un autre allait chercher son accordéon. Les vieux se rasseyaient. Leurs enfants chantaient Si tu t’appelles Mélancolie ou Faut pas pleurer comme ça. Ma mère poussait dans les grandes occasions Le petit bois de Trousse-Chemise ou tu t’laisses aller. Les dimanches en Picardie passaient, pleins, sonores, serrés autour d’une table, dans la fumée des cigarettes et des pleins verres de cidre pur-jus vidés d’un trait.
Les dimanches passaient, mon enfance avec…
J’ai cru, à l’adolescence, devoir mépriser ces chansons d’un autre âge. Il me fallait, les dimanches où je condescendais à suivre mes parents dans ces repas interminables, me forcer un peu pour retrouver mes enthousiasmes de chanteurs. Cependant, à l’abri du regard des copains, étourdis par l’alcool de pomme, je finissais par beugler avec la tribu, non sans un peu de regrets d’être si facile à retourner.
En semaine j’écoutais des 45 tours de Johnny sur un combi tourne-disque-lecteur de musicassettes dernier cri. Seul dans ma chambre mansardée je rêvais sur la pochette d’À tout casser où l’on voyait mon idole sur une moto entouré d’une bande d’affreux-jojo. Je ne savais pas encore qu’il s’agissait d’une resucée de L’équipée sauvage, ni que Johnny, soumis à ses modèles, se donnait beaucoup de mal pour leur ressembler sans jamais y parvenir. Grâce à ce Hells Angel de papier carbone je me sentais en totale rébellion. J’avais tort. On couvait d’un œil tendre mon idolâtrie et l’on pensait avec indulgence qu’« il faut bien que jeunesse se passe… » On devinait mieux que moi à quel point le franco-belge n’était pas plus menaçant que la bd du même nom.

C’est au lycée que j’ai découvert George Brassens. J’en avais entendu parler auparavant, bien sûr, mais on lui avait depuis longtemps réglé son compte. Le jugement maternel avait été définitif. Il portait son costard : Il marmonnait dans sa moustache, sa musique c’était « toujours pareil ». Elle prétendait même qu’il chantait faux.
Un 33 tours est tombé entre mes mains. La Chasse aux Papillons, Le gorille, Le parapluie me sont entrés dans la tête pour ne plus jamais en ressortir. Je me suis mis à l’écouter passionément, le chantonner, le réciter. Je me souviens de mon éblouissement devant la subtilité des rimes toujours riches de ses vers ajustés avec un soin d’ébéniste. J’ai exploré sa discographie, approché, lu, appris les poètes qu’il chantait, suis tombé en amour pour Verlaine.
Do, mi, sol, mi, fa, tout ce monde va…
Le timbre de sa voix était doux comme le bois veiné des vieux meubles lustrés qu’on caresse, vibrant comme la chaude couleur des guitares en construction des pochettes, amusé ou profond comme le charme même. La forme poétique, qui semble de loin un corset étouffant, lui permettait de composer des vers malicieux, pudiques, ironiques, impertinents, tendres et gaulois.
Tandis que certains pleuraient des Madeleine qui n’arrivaient pas (Tiens ! on doit fermer chez Eugène…) que d’autres, malaaaades, buvaient toutes les nuits, tous les whiskys, lui évoquait sans emphase un flux lacrymal qui faisait la quinzaine. J’appréciais la différence et choisissais mon camp, celui du moindre mal, de l’économie des moyens, de la rigueur, de l’intensité alliée à la sobriété…

Plutôt prendre les coups d’un air blagueur, même si en cachette dans mon cœur, la peine est bien profonde.

Des pleines bouches de mots crus tout à fait incongrus.
Un répertoire connu par cœur.
Des chansons que je chantonne ou que je me récite quand la vie traine en longueur.
Une délicatesse qui ne s’use pas.

Supplique pour être enterré à la plage de Sète
La sérénade de la purée

Michel Houellebecq, l’oscillation de la souffrance à l’ennui…

Michel Houellebecq soluto huile peintureHuile sur panneau, 40 cm x 40 cm, 2014

J’ai voulu peindre Michel Houellebecq dans une gamme de gris colorés, ni trop chauds, ni trop froids, oscillant du violet minéral au vert sourd. J’ai chassé le blanc de titane de ma palette et abaissé par le jaune de Naples toutes les lumières franches afin qu’elles ne soient pas trop crues.
Le gris est la couleur de la désillusion, de la nuance. Ses inflexions, tantôt roses, tantôt mauves, tantôt bleus, chantent les regrets, la nostalgie, l’ennui, l’ironie parfois. Sans lui l’éclat n’existe pas, il n’est que bruit, fracas, éblouissement et il manque d’assise.
Je désirais rester dans la gamme des sentiments mélancoliques que les poèmes et les romans de ce grand auteur contemporain m’inspirent.

Môminettes de papier, coquineries des marges…

soluto nus femmes nues croquis crayon lavis

La main court toute seule sur les blocs épuisés. Une page sautée, retrouvée, un espace vide sous un dessin raté, une demi feuille cornée et hop surgissent des belles. Où sommeillaient-elles avant que je les réveille ?

soluto nus femmes nues croquis crayon lavis

Ni pin-up, ni académiques, nées de rien, d’une idée, d’un mouvement, elles s’obstinent. Je les fouille d’une mine acharnée, la langue pliée, le sourcil froncé. C’est une hanche que je creuse, un sein que je retiens, que j’alourdis à plaisir. Ici c’est une fesse que je remplis et des reins que je plie, là un sexe que je fends, un pubis que je noircis, plus haut un sale rictus que je bâillonne, que je gomme sans remord. On est son maitre.

soluto nus femmes nues croquis crayon lavis

Petits bonheurs faciles, silhouettes empâtées ou graciles, bancales ou élancées, résistantes ou fluides, elles prennent la forme de mes désirs enfouis.
Les dessiner c’est déjà les posséder un peu. Les repentirs n’en sont pas, ils montrent mes ambivalences. Vite croquées, inconséquentes, souvent réjouissantes, je les destine à l’oubli.

soluto nus nues femmes croquis crayon lavis

Comme ces belles de la vraie vie, entraperçues, mouvantes, fuyantes, vite évanouies. J’ai beau essayer de mémoriser la ligne d’une jambe lancée, le mouvement d’une chevelure, l’élan d’un port de tête conquérant, je ne retiens jamais rien. Le regard en alerte est toujours oublieux.
Mais à l’heure où elles se confondent je me venge dans le secret de mes papiers. Je les y jette sans vergogne, les déshabille sans scrupule, les taquine d’un trait caressant. Je ne leur passe plus rien.
Je les retrouve toutes pour m’en débarrasser voluptueusement.

crayonnés divers rassemblés

Cavanna, mes seize ans…

Cavanna dessin Soluto Encre de chine sur papier 21 cm x 21 cm 2014

Avec mes 5 francs d’argent de poche j’achetais pieusement Charlie-Hebdo chaque semaine.
J’aimais toutes ses pages ou presque.
Reiser me cueillait systématiquement. Il m’arrachait des rires incontrôlables et me troublait beaucoup quand il parlait amoureusement et irrespectueusement des femmes. Je comprenais que les deux n’étaient pas incompatibles mais ne savais trop que faire de cette découverte.
Berroyer m’enchantait par son humour, son goût de l’anecdote, son écriture drolatique, toujours surprenante, son sens de la chute.
J’aimais aussi beaucoup Sylvie Caster dont l’article rédigé à la suite de la mort de Brel m’avait bouleversé (comme j’aimerais relire ce texte …)
Les dessins de Cabu, ses reportages dessinés, m’en fichaient plein la vue. Je ne le lisais d’ailleurs plus. Je le trouvais trop manichéen mais je le contemplais interminablement.
Et puis il y avait Cavanna. Je le lisais avec une attention soutenue. Bon sang de bonsoir, à chaque fois que j’avais fini son article je me sentais moins bête. On a bien le droit, à seize ans, d’être immodeste. Il venait combattre mon petit monde de préjugés. Il dégommait sec, avec grâce, dans un langage que je recevais cinq sur cinq quoiqu’il ne me fût pas naturel. C’est peu de dire qu’il a dévié le cours de ma vie.
Chez moi on pensait comme tout le monde. Et même, plus précisément, on pensait comme celui qui portait beau. Par exemple, en 74, mes parents votèrent Giscard qui, selon eux, présentait mieux que Mitterrand… On en était là… Autant dire qu’on ne pensait pas. J’aurais pu, j’aurais dû poursuivre sur cette voie. J’aurais été bien plus tranquille !
Mais avec mes cinq francs hebdomadaires (il fallait que je négocie pour pouvoir acheter aussi Métal Hurlant qui, si mes souvenirs sont bons, coûtait les yeux de la tête. Par chance j’étais abonné par une vieille cousine à Pilote Mensuel…) je courais vite à la Maison de la Presse d’Elbeuf pour acheter Charlie.
La paille était dans le fer.
Je voyais à l’œuvre le plaisir de penser sous la plume de Cavanna. Avec ses sujets improbables, décalés par rapport à la plus chaude actualité, son goût de l’argument, son verbe alerte, coloré, son sens de l’humour et du dérisoire, il me poussait à la gamberge.
Du moins le croyais-je à l’époque… Pense-t-on vraiment jamais ? On ne fait que tomber du côté où l’on penche avant même de s’être donné de bonnes raisons pour ne pas basculer vers d’autres bords. Ce qui est sûr c’est que ce temps de lecture était une joie vive, avec un goût de revanche sur la fadeur de mon quotidien d’adolescent.
Je m’étais promis, quand il mourrait, d’aller à son enterrement. Mais pas de bol, ce jour-là j’avais mieux à faire. Que voulez-vous, je manque d’empressement, parfois, à respecter mes promesses.
Et puis honorer ce mort eut été honorer la Mort. On a beau s’employer à l’enfermer dans une métaphore, ce néant-là, parce qu’il est toujours devant nous, fiche les foies.
Marcher lentement, la larme retenue, le nez baissé en guise d’hommage ne vaudra jamais la relecture des Ritals ou des Russkoffs. J’ai eu raison d’économiser mon billet de train, d’avoir boudé le cortège funèbre.
Pas sûr, de toute façon, qu’il aurait goûté la faiblesse de ma venue, lui qui détestait la mort si fort, qui nourrissait même l’espoir de la tuer un jour…

Vers la fin de ce blog?

OverBlog héberge mon blog depuis quelques années. Jusqu’à présent nos relations, quoique distantes, étaient courtoises et respectueuses. Bon an mal an tout se passait plutôt bien. Mais ces coquins m’ont prévenu et ont changé de ton : si je n’allonge pas la mitraille, si je ne migre pas vers un compte premium la publicité viendra s’incruster dans mes pages.

« OverBlog se doit aujourd’hui de s’adapter afin d’assurer sa pérennité et son développement… »

Je m’interroge donc sur l’intérêt de continuer de l’alimenter.

Je n’aime pas ces faux-airs de maitre-chanteur, cette façon de me signifier qu’il faut que je raque parce que je coûte plus que je ne rapporte. Hé ! Je le sais bien ! C’est ce qui fait mon charme en général. Je souffre donc qu’on s’en plaigne.

De surcroit il me déplait d’imposer à mes rares visiteurs la réclame de Tartempion. Je les invite à passer voir ma page, que je compose douce et sereine, et toc on profite de leur venue pour les inciter à acheter je ne sais quoi ! L’idée me crispe…

De toute façon, depuis l’expansion des « réseaux sociaux », la chute de mes visites, si j’en crois mes statistiques, est vertigineuse. Elle a été divisée par trois, et même par quatre certains jours. Pour être clair, quand je rallie quarante passages, c’est que je suis dans un bon jour !

Je ne voyais pas les choses ainsi. Je voulais utiliser Facebook pour orienter les curieux vers mon blog. Mais en m’installant naïvement dans le fil d’actualité des petits camarades je leur ai donné l’excuse, au contraire, de ne plus venir jusqu’à lui. D’un clic, d’un « J’aime » hâtif, amical, presque automatique, ils semblent m’adresser un coucou souriant, un clin d’œil au passage, un geste de connivence. Je m’en contente mais je demeure un peu frustré.

Allons ! Je sais bien que tous ces « j’aime » ne se valent pas… Quand tel artiste discret, peintre ou dessinateur, que j’aime sincèrement, me distingue dans la logorrhée d’un fil d’actu, quand telle femme naguère convoitée ou chérie appose son « j’aime » délicieux comme une trace de rouge à lèvre sur ma joue ou quand tel philosophe élégant vient souligner quelque image réussie je m’épanouis tout à fait…  Mais il y a tous les revers… Les inconsistants, les dispersés, les cliqueurs compulsifs, les joyeux pitonneurs qui épuisent, épuisent, épuisent…

Je vous épargne (pas tout-à-fait) mes prompts refroidissements quand, curieux de savoir qui se cache derrière tel ou tel profil aimant, je tombe sur des citations à tire-larigot de Coelho ou de Saint Exupéry, sur des aphorismes niaiseux mal orthographiés, sur des émerveillés de la vie comme elle va ou sur des statuts furonculeux, pleins d’aigreurs et de ressentiments, tous gorgés de moraline.

Il est donc possible que je renonce à ce blog si la menace d’OverBlog est mise à exécution. Peut-être chercherai-je un autre hébergeur. Rien n’est moins sûr… Peut-être me concentrerai-je sur mon site que je mettrai à jour plus régulièrement.

Je réfléchis…

Et sur ce je file à l’atelier, mon carnet de croquis sous le bras. J’ai chargé ma clé USB de quelques albums de Petrucciani, de morceaux de Grappelli et de chansons d’Abbey Lincoln.  Dans mon panier j’ai mis la moitié d’un clacos, une baguette, des pêches, des prunes et une bouteille de Saumur.

Je devrais tenir jusqu’à 22h00.

Pas la peine de venir sonner… Je n’ouvrirai pas.

portrait soluto huile peinture

Crayon — 85 mm x 125 mm — Août 2014

C’était la consternation…

dessin soluto bloc croquis portrait fille crayon ecriture peinture

« Ni papy, ni mamie n’ont compris ce qu’elle avait fichu de toutes ces années aux beaux-arts de Lyon. Ils ont financé ses études à l’aveugle, en serrant les fesses et en espérant que tout se passerait bien. Aujourd’hui ils en rient. Ils rient toujours quand l’orage est passé et que le beau temps est revenu. Ce n’était pas pareil, parait-il, quand ils allaient voir les expos des étudiants chaque année au printemps. C’était la consternation. Ils s’y rendaient à chaque fois avec un peu plus d’appréhension. Ils n’y pigeaient rien de rien ! Tout leur paraissait déplacé, agressif, inintelligible et, pire que tout, même pas beau.

 

Pour son diplôme de fin d’année ma mère avait réalisé dans la rue des moules de crottes de chien en alginate. Je l’imagine bien arpentant la ville avec son petit matériel à la main, l’œil en alerte, s’arrêtant parfois devant une belle trouvaille et définissant scrupuleusement un périmètre de sécurité pour sauver de l’écrasement certain un étron particulièrement réussi… Elle avait ensuite tiré à l’école des épreuves en plâtre coloré. Tout un nuancier de teintes pastel très appétissantes qui ressemblaient à des guimauves.

 

Puis elle avait planté sous chacun des moulages le petit bâton de bois qui permet de tenir les esquimaux glacés sans se salir. Chaque pièce était présentée sous une cloche de verre destinée à rendre l’objet encore plus désirable et plus inatteignable. Il y en avait deux cents mis en vitrine dans des congélateurs d’hypermarché qu’elle avait réussi, on ne sait pas comment, à se faire prêter… »

Que reste-t-il de ces beaux jours…

dessin soluto bloc croquis portrait fille crayon ecriture peinture

Oissel, ses rues exsangues, ses façades ravalées, sa place de marché effacée, ses commerces morts, ses enfants cloués aux consoles qui ne jouent plus dehors, qui ne traînent plus.

Les Claire, les Catherine, les Véronique, les Martine, les Nathalie et les Corinne évanouies pour toujours.

Se ressouvenir.

Attraper ce dessin qui les rassemblerait toutes, qui dirait leur fausse candeur, leurs regards à peine défiants, leurs cheveux bien peignés, parfois teints au henné,  l’ovale de leurs visages, la fraîcheur de leurs joues effleurées au bonjour du matin dans la cour d’un lycée d’Elbeuf…

Et surtout dessiner sans se mordre la lèvre.

Chère Jojo, très chère maman…

Chère Jojo, très chère maman,

La maladie a eu raison de toi. La maladie a eu raison de ce cœur en or qui a fait la joie de tous ceux qui t’ont connu et qui ont eu la chance de te fréquenter. Ta bonne humeur, ta volonté d’être toujours en accord avec ton prochain, ton attention à ne froisser personne étaient une façon de vivre en harmonie avec ta foi. Je t’ai toujours vu mettre une assiette de plus pour l’invité surprise.

Tu es née à Le Quesne le 16 aout 1933 et tu avais franchi l’année dernière ta quatre-vingtième année.

Je crois que ton enfance a été heureuse. Tu as été désirée, accueillie, choyée par tes parents et ton grand-frère Marcel. Toujours, tant qu’ils étaient vivants et tant que tu l’as pu, tu es restée proche d’eux. Mes souvenirs d’enfance sont remplis de la voix de mon grand-père, de la bienveillance de ma grand-mère, des jeux de mots de mon oncle et je pense aussi à eux très fort.

Comme ton père André et ton frère Marcel tu as fait de la musique. Ton instrument était le saxophone. Tu jouais au sein de la fanfare de Beaucamps. Tu adorais chanter et danser. Les danses de salon n’avaient pas de secrets pour toi. Quand tu valsais avec Michel vous faisiez l’admiration de beaucoup. En écrivant ces lignes je t’ai revue quelques instants danser le madison en riant à Montfort L’Amaury avec tes petits-enfants.

Tu aimais aussi le théâtre que tu as pratiqué pour le plaisir. Je tiens de mon père que c’est à la faveur d’une représentation théâtrale qu’il s’était rapproché de toi. Il n’avait pas économisé sa peine pour revenir te voir sur scène un dimanche d’avril 1954. Bien lui en a pris !

Votre mariage a été une réussite incontestable. Cette union a duré 58 ans. Elle était fusionnelle. 58 ans de café au lit se plait à répéter mon père! Vous ne vous êtes jamais quittés. Même le travail, au magasin La Ruche, vous réunissait encore. Jamais l’un sans l’autre et toujours l’un pour l’autre.  Il fallait au moins la traitrise de la mort pour vous séparer.

Bien sûr, comme tu le disais souvent, tout ne fut pas rose. Des débuts hasardeux dans un fonds de charcuterie à Feuquières au départ en Algérie de mon père en passant par quelques difficultés financières les inquiétudes étaient diverses. Elles avaient d’ailleurs laissé une trace profonde qui t’amenait souvent à anticiper certains écueils. Mais le passage par la Mailleraye, puis l’arrivée à Oissel au magasin d’alimentation La Ruche, où vous êtes restés 25 ans, ont été l’occasion d’un nouveau départ.

Je suis né en 1961. J’ai été votre fils unique et à ce titre j’ai concentré tous tes espoirs de mère. Tu as toujours voulu pour moi le meilleur, tu ne t’es pas économisée. Tu m’as élevé, soigné, accompagné avec une détermination sans faille. Sans doute par insouciance, par négligence ou par faiblesse ai-je déçu quelques-unes de tes espérances, c’est hélas parfois ainsi que les hommes se construisent. Mais tu n’as jamais ajouté aux regrets la moindre rancœur ou la moindre amertume.

Au sortir de l’adolescence je savais déjà que tu m’avais transmis le meilleur.

Tu m’as appris le discernement, la prudence, une certaine souplesse d’esprit et l’attention que mérite en toutes circonstances notre prochain. Grâce à toi j’ai marché d’un bon pas et j’ai su faire ma place dans un monde que tu savais difficile.

Tu as immédiatement considéré Caroline, ma compagne, comme ta propre fille. Quand notre famille s’est enrichie d’un puis de deux beaux enfants, Gabin et Lou, tu as été comblée. Ils ont fait toute ta joie ces vingt dernières années. Comme tu les as gâtés, et comme nous avons aimé que tu les gâtes ! Comme ils aimaient être avec mamie et papy ! Ils n’ont su que te faire rire, parfois jusqu’aux larmes. Je sais que tu as beaucoup prié pour eux, pour Caroline et pour moi afin que nos vies soient douces.

Nous avons tous été rassemblés autour de toi une dernière fois à Noël. L’on t’avait autorisée à rentrer dans ce chez toi que tu n’avais plus vu depuis  longtemps. Ce fut une journée inespérée. Tu paraissais en forme et nous étions tous confiants. Tu venais de subir la pose d’une valve percutanée. L’intervention s’était formidablement bien passée. Chacun a cru que le pire était passé. Il n’en était rien. Chaque jour de 2014 t’a vu t’affaiblir un peu plus. Notre impuissance à t’aider s’est ajoutée à notre souffrance et à notre peine.

Mon père n’a jamais failli ! Il t’a soutenu de tout son amour et t’a rendu visite chaque jour de ces longs mois. Je suis venu te voir autant que je l’ai pu. Quand tu t’es éteinte nous étions près de toi et nous te tenions chacun par la main. Nous avons entendu ton dernier souffle.

Mes pensées vont aussi particulièrement vers Monique et Jacques pour ce soutien essentiel qu’ils nous ont apporté ces derniers jours.

Chère Maman, tant que nous serons là nous ferons vivre ta mémoire. Tu resteras avec nous, en nous, dans nos cœurs.

Parce que tu nous as beaucoup donné tu nous manqueras terriblement.

Jojo — 1933-2014 —

Que les délicats gênés de tant d’impudeur ne se privent pas de quitter cette page en m’épargnant leurs commentaires.

Les autres, s’ils le souhaitent, peuvent m’écrire en privé…