Ailleurs je perds mon temps…

portrait soluto huile peinture

Huile sur toile 24 cm x 30 cm

Quand je comprends qu’il est bien tard, que les années qu’il me reste n’en finiront plus de se jeter sur moi pour mieux m’éviter, que je sens les regrets sédimenter au fond de mon cœur, je ne suis bien que là, arrimé à ma chaise, sur mon tapis de bambou, à distance de mon chevalet d’un demi bras.
Cinq litres de white spirit en bidon sous la main gauche, mes couleurs dans leurs bacs sous la droite, l’essence et l’huile dans leurs godets, les pinceaux en bouquet dans leurs pots, le front sous la lampe et ma palette chargée sur mes genoux j’attends.
Je me débarrasse du monde comme il se débarrasse de moi.
C’est un processus, pas même une fiction.
L’impensé, à coups de lignes et de masses, s’ordonne, trouve sa cohérence, se dévoile. C’est un mouvement inquiet qui cherche son apaisement par un saisissement. Je ne veux rien sinon glisser hors de moi, guidé confusément par la vibration des couleurs, par l’ivresse d’un geste délié, d’un trait retenu. Je suis dans la pâte que j’écrase sur la trame de la toile, dans la soie du pinceau, dans la main qui porte mon désir, dans l’image qui émerge.
Je me plais là, infiniment paisible, en retrait des pensées, à camper à l’abri des mots, baigné dans la sensation intense d’être au bon endroit, au bon moment.
Ailleurs je perds mon temps…

10 réflexions au sujet de « Ailleurs je perds mon temps… »

  1. Célestine

    Ce portrait me ressemble en ce moment.
    Inquiète et sidérée, avec au fond du regard, cette touche de naïveté flouée par un monde trop dur et incompréhensible. La bouche bée devant tant de violence et d’ignominie.
    Merci pour vos mots que j’apprécie de plus en plus. Votre talent est un phare dans ma tempête personnelle.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. soluto Auteur de l’article

      Chère Célestine, le piège serait sans doute de trouver un sens trop antalgique aux affres qui nous envahissent. Comme il y a des deuils qu’on ne veut pas faire il y a des sidérations qu’on ne veut pas voir passer. Vivre avec l’inquiétude, à proximité de la souffrance mais à l’écart de l’agitation, des certitudes qui s’affirment un peu plus chaque jour et des grondements, suppose le repli, l’isolement. L’atelier est ma coquille. J’espère de tout cœur que vous avez la vôtre…

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      1. Celestine

        En doutez-vous, cher ami ? Bien sûr que j’ai ma coquille, mon havre, ma source, et l’affre était peut-être d’imaginer devoir quitter cette bulle,en être arrachée, à plus ou moins long terme, qui sait ?
        Bref, je me reconstruis peu à peu et des mots comme les vôtres y contribuent grandement.
        Bien à vous
        ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. lucm.reze

    Mon cher Soluto, quel bonheur vous avez d’être peintre dans nos vies sans espoir. Je suis entouré de gens qui n’ont, pour la plupart, que le boulot. Je ne sais pas comment ils tiennent le coup, la lointaine perspective des vacances ? Quelle vie de merde. Profitez bien de ce monde parallèle qu’est l’art et la création.
    Cordialement ,
    lucm (au boulot ce lundi matin !!!)

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    1. soluto Auteur de l’article

      Cher Luc, la vie est sans espoir! Nous n’en sortirons pas vivant… Mais elle n’est pas sans plaisirs. Ceux qu’on va chercher, qu’on construit, qu’on façonne valent plus que ceux qui nous tombent du ciel. L’effort, l’application, la constance, sont préférables au désœuvrement, à l’abandon au hasard, à l’évitement. Si les premiers épuisent par avance les seconds terrassent sournoisement. Ceux qui n’ont que le boulot aiment à la fois leur servitude et la plainte qui l’accompagne. Laissons les bougonner jusqu’à ces fameuses vacances dont ils ne savent que faire… Et ne vous souciez plus pour eux : ils tiennent, ils tiennent… On les torture, on leur serre la vis, mais ils tiennent…

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