Archives pour la catégorie soluto
Gouache digressive 03…
Gouache digressive 02…
Gouache digressive…
Portrait d’écrivain : Guillaume Apollinaire…
Portrait d’écrivain : Colette…
Encre de chine sur papier préparé, 21 cm x 29,7 cm, août 2021
Comme le rossignol de la nouvelle qui manqua de mourir ficelé dans les vrilles de la vigne je me suis laissé attraper par la ligne tournée et chantante, sensuelle et raffinée de Colette. J’avais seize ans, j’étais mal dessalé et mon innocence, sans être crasse, trouvait à se désagréger dans ses pages.
Depuis elle ne me laisse pas tranquille toute une année. Arrivent toujours ces heures blanches, que je cherche à rehausser, où mon doigt indécis, courant sur les rayons de mes étagères, la déniche, la soulève et l’emporte.
Elle s’ouvre aux bonnes feuilles, sa féminité m’envahit et les pages prennent une odeur de peau, de blé haché ou de bête têtue.
Voluptueuse et cruelle, incisive ou languissante, elle a la puissance des entêtantes dont on s’éprend éperdument.
Je m’en méfie aussi un peu.
Portrait d’écrivain : Francis Ponge (1899-1988)…
Crayons de couleur, 21 cm x 29,7 cm, août 2021
On doit aimer Francis Ponge d’un amour posé et précautionneux. Ses écrits sont d’une texture si fragile, quoique le tissage en soit très serré, que la précipitation nuirait à leur bonne lecture. Un empressé verrait de la reprise où il faut voir de la variation, de l’obsession, du mouvement et une traque farouche de l’illusion d’optique.
Ses sujets de prédilections sont les objets. Il écrit sur le motif. Par lui décrits on les croirait peints, ou sculptés, et leur matérialité en est augmentée – chose qu’on pensait impossible. On les goûte, on les touche, on les voit, on les sent. Leur singularité devient extrême.
C’est un poète engagé qui dédaigne les nues, la Femme, l’aube, le couchant et le sentiment, ces lieux communs du versificateur, pour leur préférer la sensation, le mot, sa forme et ses vertus d’outils.
Il aimait Braque, Fautrier mais aussi, inexplicablement, Émile Picq qui n’est pas un bon dessinateur.
Il n’est jamais drôle, comme souvent ceux qui sont passés par le surréalisme. D’ailleurs, s’il a admirablement cerné son sujet dans « Le Savon », force est de constater qu’il n’a pas réussi à coincer la bulle.
Portrait d’écrivain, Gustave Flaubert…
Aquarelle, 21 cm x 29,7 cm, août 2021
Portrait d’écrivain, Gustave Flaubert.
Extrait du dictionnaire des idées reçues
Flaubert
S’extasier. Dire qu’il a inventé le roman moderne. L’évoquer élève significativement toute conversation littéraire. Rappeler que c’était un bœuf ou un sanguin. Pour paraitre fin on doit louer son humour et le voir partout. Proclamer : Nabilla Benattia est une Bovary. Voir en tout scientiste télévisuel un Monsieur Homais. On prendra pitié de ceux qui ne l’apprécient pas.
Portrait d’écrivain, James Hadley Chase…
Encres de Chine sur papier, 21 cm x 15 cm, août 2021
« Je suis un écrivain commercial. J’écris pour de l’argent ma chère ».
Voilà ce qu’affirmait James Hadley Chase dans une interview de 1969 alors qu’il signait son dernier ouvrage dans un supermarché français sous l’œil attendri de ménagères de moins de cinquante ans qui en paraissaient dix de plus. Imagine-t-on Marc, Guillaume ou Amélie, qui s’adressent aux mêmes, la jouer aussi cash ? Iraient-ils, eux, vendre leurs paquets de mots au bout de la gondole, dans le voisinage des petits pois ou des couche-culotte ? Sans doute pas. L’élégante désinvolture du vieux James, en tous lieux, ne saurait convenir à tout le monde.
De J.H.C il ne me reste presque plus rien. Des impressions, des scènes d’actions drôlement troussées, des twists improbables, des flics véreux, des politicards obèses, des types aux mentons carrés et des femmes fatales. Tout le monde, en ce temps-là, était en parfaite adéquation avec son genre. La testostérone suintait des pages et les femmes qui ne consentaient pas dans un chapitre finissaient par mollir et s’abandonner dans celui d’après – quand ce n’était pas dans le paragraphe suivant. Elles avaient la gâchette sensible, des bas de soie, des lèvres ourlées et ressemblaient toutes, dans mon imagination, à Jeanne Moreau (celle de Losey, d’Antonioni) ou à Stéphane Audran (celle de Chabrol, exclusivement) revues par Robert Mac Ginnis ou Renato Fratini.
Il eut été plus chic, dans le genre hard-boiled, que je me cognasse tout Hammett ou Chandler. J’eus eu pour moi l’alibi culturel. Mais je lorgnais plutôt vers Chase ou Westlake que je trouvais plus marrants. La facilité, déjà.
J’ai dévoré ses livres comme il les écrivait, par crise, à la queue leu leu. Je les ai vu passer à très vive allure, comme des wagons. Normal, me dira-t-on, pour de la littérature de gare. Les derniers lus, d’ailleurs, je me le rappelle maintenant, c’était sur un pliant de camping au mois d’août 1983, à côté des aiguillages manuels qui longeaient les rails de la gare de marchandises de Pont-Audemer.
Cet été-là je rentrais deux trains le matin et un le soir. J’étais cheminot sur un malentendu.
Par chance on m’a viré.
Et, sans qu’il n’y ait aucun lien de causalité, je n’ai plus jamais lu Chase.
Portrait d’écrivain, Paul Verlaine, Lélian, vilain bonhomme…
Acrylique sur papier, 21 cm x 29,7 cm, juillet 2021
En ces temps-là de vilains rabatteurs collaient négligemment sous nos yeux embués des polycopiés. Nous ne nous doutions pas des coups qu’ils nous portaient. On contemplait ces bouts de phrases cadenassés, tous en pieds bien comptés, dans leurs formes désuètes, cette fois un sonnet, comme s’il s’était agi d’une corvée de patates. Il fallait en extraire le jus, le sens et les intentions souterraines que l’auteur noyait sous le poli de ses vers.
C’est par la voix du Rêve familier que Verlaine m’advint et me ravit.
Ce poème me pénétra, sa musique grise et lente me comprima le cœur et j’éprouvai pour de vrai le sentiment mélancolique, la force de son frein et l’immonde plaisir qui le baigne. Je l’appris par cœur et me le récitai souvent.
Plus tard je me passionnai pour le recueil Parallèlement.
J’aimais qu’il se qualifiât lui-même de maudit et qu’il se donnât les moyens, par la boisson, les dérèglements et les illusions mal nourries, de se déprendre du sublime et du style sans y parvenir. Une vie gratinée aux flammes de l’enfer : la cousine orpheline, si bel amour déçu qu’un autre lui souffle, se marie et meurt, son père trépasse tôt et son insupportable mère lui passe tout. Un marlou ardennais aux grosses mains rouges (la fatalité a souvent de grosses mains rouges) vient lui mordre le cou. Mais qui sait qui saigne l’autre ? C’est l’odeur crue de la luxure, la bite aux aguets, la débauche obstinée et son fils Georges, à l’occasion, jeté contre les murs. Errance, fêtes navrantes, coup de pétoire à Bruxelles, cellule, rabibochage, adieux. Des saisons et des saisons en enfer, des bocks vidés, l’absinthe, des vins noirs, des crises de déraison, des vers qui boitent et qui palissent enfin, la pitié, le dégoût, l’hôpital, le cimetière des Batignolles.
En post-scriptum on voudrait mettre le portrait d’Eugène Carrière, ce cri de Paul Fort « N’importe ! Lélian, je vous suivrai toujours ! », la chanson d’automne de Trenet et quelques larmes de Birkin qui n’y pourront rien changer. Des mots, des pappus pris au vent qui n’en finiront jamais d’essaimer…
Pourvu que Verlaine, longtemps encore, au vent mauvais, continue de draguer dans les salles de classe.