Crayon sur papier 15 cm x 20 cm 2015
Crayon sur papier 15 cm x 20 cm 2015
Chers tous, chers amis,
Les semaines passent… Dans 15 jours, le 7 juillet, on décroche…
Merci, merci, merci à tous ceux qui sont venus, qui ont pris le temps de goûter, de regarder, d’apprécier, de critiquer, d’interroger mes images, mes tableaux et mes dessins… Merci particulièrement à ceux qui m’ont adressé à cette occasion un signe, un mot toujours bienveillants. Je répondrai à chacun, je le promets.
J’informe les autres (toujours les mêmes, les occupés qui s’agitent pour des prunes, qui se lamentent sur le temps qui passe, qui pensent qu’on va les attendre) qu’on ne jouera pas les prolongations et qu’ils devront vivre ad vitam aeternam avec leurs regrets…
Les excuses de ceux qui pourtant s’enthousiasmaient à l’idée de cette expo n’adouciront pas mon regard. Certes, ils me trouveront souriant, égal à moi-même. Je n’en penserai pas moins.
Les retardataires, les oublieux, les procrastinateurs et les clinophiles qui souhaiteraient dans un ultime effort me rencontrer peuvent m’envoyer un message : je ne suis pas non plus un mauvais bonhomme, on ajustera nos agendas…
Je serai à la Galerie le vendredi 26 juin.
Au plaisir, donc…
Soluto Peintures & dessins
à la Galerie des Artistes
20, rue Saint-Blaise 75020 Paris
Tel : 06 80 70 66 44
Métro Gambetta ou Porte de Bagnolet
Comment travailliez-vous ces portraits en série successive ? En fonction d’une demande ? Et avec quelle technique ?
Je travaille toujours par série, préparant mes dessins parfois longtemps à l’avance. Cependant au moment du travail de peinture je traite chaque portrait indépendamment les uns des autres. Je trouve mes modèles autour de moi, ma famille, des proches, mais aussi dans des albums photos.
Dans ce cas-là, quand il s’agit d’inconnus, je ne me soucis plus de la ressemblance et préfère m’employer à restituer par la couleur une époque. J’aime beaucoup les tirages couleurs des années 60/70, ou les polaroïds de ce temps-là, et je cherche souvent à restituer ces ambiances. Je trouve qu’ils portent en eux-mêmes une forte charge émotive.
Le travail à l’acrylique ou à l’aquarelle permet un traitement rapide, en rapport me semble-t-il avec l’évanescence des souvenirs incertains de l’enfance. Souvent les portraits suscitent un texte, comme vous pouvez le voir sur le blog (j’en ai posté un hier)… Ce sont des petites fictions indissociables de l’image. Ce travail d’écriture me permet d’aller fouiller dans des zones enfouies ou refoulées et me permet de débusquer d’autres pistes de travail…
Les formats sont tous carrés: une manière de fabriquer cette série ou un rapport aux formats initiaux ?
Je ne sais pas ce que vous entendez par « formats initiaux ». Le format carré est un parti pris. Il permet « de rentrer » dans les images (fronts et mentons coupés parfois…) Ce n’est pas le format habituel du portrait, c’est une autre façon de l’approcher… Je crois, aussi, que c’est un format dans lequel je me sens à l’aise. Mon œil et ma main composent vite dans cet espace-là. C’est aussi vrai pour les paysages, encore que dans ce cas-là, il s’agit surtout d’un travail de composition sur les verticales et les horizontales…
Vous commencez directement en couleur et c’est l’irrégularité de la technique mouillée qui crée le flou ou bien vous tracez quelque chose de régulier et la mise en couleurs vous permet de déformer ?
Non, je travaille toujours après un crayonné discret assez poussé, où sont déjà prévus les principaux effets de flou (sur les travaux à l’acrylique, c’est différent dans la mesure où dessin et peinture cheminent de concert). Il y a peu d’improvisation dans ce travail et j’applique la couleur directement sur le papier avec un gros pinceau ventru, je précise mon trait avec un pinceau moyen et je termine avec une martre très fine si c’est vraiment nécessaire (rien de très original…). Sur beaucoup de ces travaux il y a des rehauts de gouache blanche… Il s’agit d’ailleurs d’une technique sur papier sec…
Et je recommence plus volontiers un dessin, que je n’essaie de le « rattraper ». Je déteste les dessins « bouchés »… Ils sont pour moi le comble du mauvais goût. Plutôt la maladresse que l’acharnement…
Mais… Si ça continue et si vous me poussez à m’interroger sur mon travail, vous allez bientôt en savoir plus sur moi-même que… moi-même…
Vous êtes en train de dire que vous gérez par avance le flou ! vous voulez dire que vous savez que vous allez peindre flou, c’est évidemment curieux pour un spectateur extérieur ! J’imagine qu’il y a un lien entre ce souvenir et le flou mais ce rapprochement serait un peu simple: y a-t-il des quantités de flou ? C’est–à-dire des images que vous avez plus ou moins envie de dégrader !? Pourquoi ? Dans quelle quantité ?
Gérer… gérer… Le mot est un peu fort… Disons plutôt qu’avant d’être là, le flou a déjà sa place. Jusqu’à un certain point, variable selon les travaux, j’ai une vision assez précise de ce que je veux obtenir. Mais je reste toujours vigilant afin de savoir lâcher la bride et laisser le dessin ou le tableau évoluer pour son compte. Il doit vivre sa vie propre, se détacher de l’intention qui lui préside afin de devenir cause de lui-même (à l’inverse, par exemple de l’image narrative ou de l’illustration qui restent jusqu’au bout assujetties à leur élan premier)…
Il ne s’agit pas, comme chez les hyperréalistes par exemple, d’être dans la maîtrise jusqu’à l’ultime coup de pinceau. Pour faire plus simple, je pousse le dessin, le « monte » jusqu’au moment où il prend pour lui-même son envol. C’est un instant inexprimable où, loin de toute pensée, tout se met en œuvre pour aboutir. La main n’hésite plus, l’œil juge vite, la prudence n’existe plus et les matériaux se plient aux exigences du travail. J’ai même développé une véritable addiction à ce point de bascule où la clairvoyance se combine à une certaine forme d’ivresse. Peut-être même que je ne cherche que ça…
Quant au rapport qu’entretiennent ces images avec les souvenirs (souvenirs écrans, inventés ou reconstruits) il est laissé aux bons soins de l’inconscient… Le mien, bien obligé, mais surtout celui du spectateur. Il s’agit toujours de trouver le chemin confus qui permettra d’aller troubler l’autre là où l’on a été soi-même touché… Et si l’on choisit l’image, en l’occurrence la peinture ou le dessin, c’est toujours pour éviter les mots, les phrases. C’est vous dire comme cet « exercice » d’entretien me met à l’épreuve. Mais bon, j’espère au moins que je suis à peu près clair…
Même sans « gérer » vous décidez du flou, vous vous arrêtez avant que la netteté n’arrive non ? Pourquoi ?
Eh bien, voilà, c’est exactement ça… Je « décide » du flou. Je n’en ai pas toujours la représentation mentale mais je sais à peu près quelle impression je veux obtenir. Et par conséquent le dessin va de l’informe jusqu’à ce point d’indécision. Il est dans sa plénitude au bout de ce chemin-là. Il n’est pas «inachevé» au sens où la même image, nette, serait l’image terminée. Non, il n’est jamais tronqué, et quand je repose les pinceaux l’affaire est entendue et ne m’appartient plus… L’image est allée à son terme. Faire plus serait faire trop.
A la question « pourquoi ? » je ne peux rien ajouter que je n’aie dit précédemment sur le rapport à la mémoire. Il s’agit de choix esthétiques, sans doute liés à des processus qu’il n’est pas nécessaire (utile ? possible ?) d’élucider. C’est aussi une façon de se mettre en marge de la tradition du portrait qui est presque par essence « psychologique »… Pour moi un portrait ne vaut pas toujours, en tout cas pas uniquement, par sa ressemblance avec son sujet, il n’a rien à dire, à montrer, à prouver.
L’essentiel pour moi est la présence, l’évocation plus que la ressemblance…
Voilà, j’espère avoir répondu à vos questions…
Décidément, quel exercice… Du moins me permet-il de mettre un peu d’ordre dans mes pensées…
Je n’ai pas réussi à être Charlie. Pas un instant. Impossible pour moi de me confondre avec quiconque, avec quoi que ce soit… Dégoût de la foule, des masses bêlantes qui dégoulinent d’émotion, qui communient, pleurent, chantent. Chacun se débrouille comme il peut.
Je ne mets pas en doute cette ferveur. Sans doute était-elle nécessaire pour le plus grand nombre. Moi je ne peux pas. Les grands-messes, les processions, les marseillaises et les haies d’honneur sur fond d’union nationale, tout ce qui galvanise les foules et les redresse comme un seul homme, suscitent en moi une terrible méfiance. Le côté « serrons-nous les coudes » du bon peuple de France et son hystérisation attisée par les politiciens ne me rassurent pas, ne me consolent pas. Ce joli ciment a pris trop rapidement. Il recouvre des failles profondes. Je gage qu’il ne tardera pas à s’effriter.
Non, décidément je ne suis pas Charlie.
Pourtant, putain, j’en ai bavé ces derniers jours !
Dans une sorte d’état second, rivé à la radio haletante, ne pouvant plus rien faire d’autre que peindre obstinément, j’ai suivi heure par heure, en direct, tous ces évènements terribles. Je suis sincèrement éprouvé. Je reste d’ailleurs sidéré, suspendu, comme en attente d’autres malheurs. Je ne retrouve aucune quiétude. Ma boussole est affolée, mes repères deviennent flous, je suis profondément déstabilisé. J’ai l’impression d’être le seul de mon espèce.
Je vois que beaucoup, déjà, se remplissent de certitudes. Ils savent, analysent, comprennent et voient clairs à travers le nuage de cendres qui nous environne.
Leurs angoisses sont solubles dans les pronostics. Quelle chance ils ont.
Moi je ne sais jamais rien. Et je répugne à glisser ma pensée dans celle des autres. Je vais continuer comme avant. Je m’emploierai à rester courtois, à sourire à mes charmants voisins, à chérir ceux que j’aime, à ne pas laisser dire n’importe quoi sous le prétexte fallacieux du franc-parler. Je me méfierai encore des cons, des enthousiastes, des radicaux et de tous ceux qui ont forcément raison.
Quand j’en aurai assez, ou que j’aurai trop mal aux autres, je m’appliquerai à dégraisser mes peines dans l’essence de térébenthine, à charger mes pinceaux, à combattre les toiles qui me résistent.
Pas sûr, en tout cas, que je laisserai encore la violence du monde envahir de façon si soudaine mon atelier…
Ils ne rêvent pas des femmes qu’ils n’ont pas eu, ni ne regrettent la soif idéale. Ils sont installés dans une pliure du temps et s’appliquent à ne pas remuer.
Leurs os gris et cassants supportent leur peau fripée. Leurs bouches abritent des appareils. Leurs mains craquent.
Ils ont le sérieux des bilboquets.
Le matin ils surveillent leurs crottes, le jour entier lambinent sous la casquette.
Ils flétrissent patiemment et leurs yeux défraichis ne contemplent plus rien.
Quant à nous nous ne saurions nous plaindre par anticipation.