Flou de vous…

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A l’occasion de l’exposition à la Galerie des Artistes, 20 rue Saint Blaise, Paris 20ème, le galeriste a souhaité montrer une série de portraits vieille de quelques années. Pour la revue Préfiguration.com, aujourd’hui disparue, j’avais répondu en 2007 à quelques questions sur ma façon de travailler. J’ai retrouvé cet entretien. Il m’a paru opportun de vous le livrer. Le voici donc… 

Comment travailliez-vous ces portraits en série successive ? En fonction d’une demande ? Et avec quelle technique ?

Je travaille toujours par série, préparant mes dessins parfois longtemps à l’avance. Cependant au moment du travail de peinture je traite chaque portrait indépendamment les uns des autres. Je trouve mes modèles autour de moi, ma famille, des proches, mais aussi dans des albums photos.
Dans ce cas-là, quand il s’agit d’inconnus, je ne me soucis plus de la ressemblance et préfère m’employer à restituer par la couleur une époque. J’aime beaucoup les tirages couleurs des années 60/70, ou les polaroïds de ce temps-là, et je cherche souvent à restituer ces ambiances. Je trouve qu’ils portent en eux-mêmes une forte charge émotive.
Le travail à l’acrylique ou à l’aquarelle permet un traitement rapide, en rapport me semble-t-il avec l’évanescence des souvenirs incertains de l’enfance. Souvent les portraits suscitent un texte, comme vous pouvez le voir sur le blog (j’en ai posté un hier)… Ce sont des petites fictions indissociables de l’image. Ce travail d’écriture me permet d’aller fouiller dans des zones enfouies ou refoulées et me permet de débusquer d’autres pistes de travail…

Les formats sont tous carrés: une manière de fabriquer cette série ou un rapport aux formats initiaux ?

Je ne sais pas ce que vous entendez par « formats initiaux ». Le format carré est un parti pris. Il permet « de rentrer » dans les images (fronts et mentons coupés parfois…) Ce n’est pas le format habituel du portrait, c’est une autre façon de l’approcher… Je crois, aussi, que c’est un format dans lequel je me sens à l’aise. Mon œil et ma main composent vite dans cet espace-là. C’est aussi vrai pour les paysages, encore que dans ce cas-là, il s’agit surtout d’un travail de composition sur les verticales et les horizontales…

Vous commencez directement en couleur et c’est l’irrégularité de la technique mouillée qui crée le flou ou bien vous tracez quelque chose de régulier et la mise en couleurs vous permet de déformer ?

Non, je travaille toujours après un crayonné discret assez poussé, où sont déjà prévus les principaux effets de flou (sur les travaux à l’acrylique, c’est différent dans la mesure où dessin et peinture cheminent de concert). Il y a peu d’improvisation dans ce travail et j’applique la couleur directement sur le papier avec un gros pinceau ventru, je précise mon trait avec un pinceau moyen et je termine avec une martre très fine si c’est vraiment nécessaire (rien de très original…). Sur beaucoup de ces travaux il y a des rehauts de gouache blanche… Il s’agit d’ailleurs d’une technique sur papier sec…
Et je recommence plus volontiers un dessin, que je n’essaie de le « rattraper ». Je déteste les dessins « bouchés »… Ils sont pour moi le comble du mauvais goût. Plutôt la maladresse que l’acharnement…
Mais… Si ça continue et si vous me poussez à m’interroger sur mon travail, vous allez bientôt en savoir plus sur moi-même que… moi-même…

Vous êtes en train de dire que vous gérez par avance le flou ! vous voulez dire que vous savez que vous allez peindre flou, c’est évidemment curieux pour un spectateur extérieur ! J’imagine qu’il y a un lien entre ce souvenir et le flou mais ce rapprochement serait un peu simple: y a-t-il des quantités de flou ? C’est–à-dire des images que vous avez plus ou moins envie de dégrader !? Pourquoi ? Dans quelle quantité ?

Gérer… gérer… Le mot est un peu fort… Disons plutôt qu’avant d’être là, le flou a déjà sa place. Jusqu’à un certain point, variable selon les travaux, j’ai une vision assez précise de ce que je veux obtenir. Mais je reste toujours vigilant afin de savoir lâcher la bride et laisser le dessin ou le tableau évoluer pour son compte. Il doit vivre sa vie propre, se détacher de l’intention qui lui préside afin de devenir cause de lui-même (à l’inverse, par exemple de l’image narrative ou de l’illustration qui restent jusqu’au bout assujetties à leur élan premier)…
Il ne s’agit pas, comme chez les hyperréalistes par exemple, d’être dans la maîtrise jusqu’à l’ultime coup de pinceau. Pour faire plus simple, je pousse le dessin, le « monte » jusqu’au moment où il prend pour lui-même son envol. C’est un instant inexprimable où, loin de toute pensée, tout se met en œuvre pour aboutir. La main n’hésite plus, l’œil juge vite, la prudence n’existe plus et les matériaux se plient aux exigences du travail. J’ai même développé une véritable addiction à ce point de bascule où la clairvoyance se combine à une certaine forme d’ivresse. Peut-être même que je ne cherche que ça…
Quant au rapport qu’entretiennent ces images avec les souvenirs (souvenirs écrans, inventés ou reconstruits) il est laissé aux bons soins de l’inconscient… Le mien, bien obligé, mais surtout celui du spectateur. Il s’agit toujours de trouver le chemin confus qui permettra d’aller troubler l’autre là où l’on a été soi-même touché… Et si l’on choisit l’image, en l’occurrence la peinture ou le dessin, c’est toujours pour éviter les mots, les phrases. C’est vous dire comme cet « exercice » d’entretien me met à l’épreuve. Mais bon, j’espère au moins que je suis à peu près clair…

Même sans « gérer » vous décidez du flou, vous vous arrêtez avant que la netteté n’arrive non ? Pourquoi ?

Eh bien, voilà, c’est exactement ça… Je « décide » du flou. Je n’en ai pas toujours la représentation mentale mais je sais à peu près quelle impression je veux obtenir. Et par conséquent le dessin va de l’informe jusqu’à ce point d’indécision. Il est dans sa plénitude au bout de ce chemin-là. Il n’est pas «inachevé» au sens où la même image, nette, serait l’image terminée. Non, il n’est jamais tronqué, et quand je repose les pinceaux l’affaire est entendue et ne m’appartient plus… L’image est allée à son terme. Faire plus serait faire trop.
A la question « pourquoi ? » je ne peux rien ajouter que je n’aie dit précédemment sur le rapport à la mémoire. Il s’agit de choix esthétiques, sans doute liés à des processus qu’il n’est pas nécessaire (utile ? possible ?) d’élucider. C’est aussi une façon de se mettre en marge de la tradition du portrait qui est presque par essence « psychologique »… Pour moi un portrait ne vaut pas toujours, en tout cas pas uniquement, par sa ressemblance avec son sujet, il n’a rien à dire, à montrer, à prouver.
L’essentiel pour moi est la présence, l’évocation plus que la ressemblance…
Voilà, j’espère avoir répondu à vos questions…

Décidément, quel exercice… Du moins me permet-il de mettre un peu d’ordre dans mes pensées…

6 réflexions au sujet de « Flou de vous… »

  1. almanito

    L’évocation plus que la ressemblance, laissant chacun libre d’interpréter et de faire vivre son ressenti et son imaginaire.
    Je ne connais rien en peinture, et j’ai trouvé ces explications très intéressantes, mais comme j’aime bien écrire, je me dis que chaque personnage pourrait faire un personnage de roman…

    Répondre
    1. soluto Auteur de l’article

      Cher Almanito, merci de votre commentaire… On le dit volontiers : chaque personnage porte un monde. Mais un monde, c’est sans doute trop pour tenir dans un roman… Mieux vaut peut-être se tenir à la croisée des mondes, mélanger les personnages et ne retenir que ce qui les lie… Le va-et-vient, l’incertitude, le flou justement, l’indécision aussi me semblent une bonne feuille de route. Écrivez et portez-vous bien… Au plaisir de vous retrouver sur cette page de blog…

      Répondre
      1. almanito

        Merci pour les liens, Soluto, pour l’instant je ne suis pas très en fonds mais je les garde sous le coude car je suis très intéressée. J’avais déjà remarqué la force de votre écriture à travers votre blog. Pour ma part je n’en suis qu’au début, à peine un an que j’écris et bien du boulot devant moi:)
        A bientôt Soluto.

        Répondre

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