Archives pour la catégorie Crayons…

Dont je suis idolâtre…


— En bonne foi, crois-tu, sans t’éblouir les yeux,
Avoir de grands sujets de paraître joyeux ? — Parbleu ! je ne vois pas, lorsque je m’examine,
Où prendre aucun sujet d’avoir l’âme chagrine.
J’ai du bien, je suis jeune, et sors d’une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison ;
Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu’il est fort peu d’emplois dont je ne sois en passe
Pour le cœur, dont sur tout nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n’en manque pas,
Et l’on m’a vu pousser, dans le monde, une affaire
D’une assez vigoureuse et gaillarde manière.
Pour de l’esprit, j’en ai sans doute, et du bon goût
A juger sans étude et raisonner de tout,
A faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant sur les bancs du théâtre,
Y décider en chef, et faire du fracas
A tous les beaux endroits qui méritent des has.
Je suis assez adroit ; j’ai bon air, bonne mine,

Les dents belles surtout, et la taille fort fine.
Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,
Qu’on serait mal venu de me le disputer.
Je me vois dans l’estime autant qu’on y puisse être,
Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître.
Je crois qu’avec cela, mon cher ami, je crois
Qu’on peut, par tout pays, être content de soi…

Molière

Le Misanthrope, Acte III, Scène première…


Avant que ne reviennent (ou la dernière aventure du vieux Lemmy in Bêta Town…)


Après tant de dessins domptés, contraints, soumis au caprice ou à la volonté, voici quelques dessins d’abandon… Délice du premier jet, joie du coloriage, régal de l’image qui monte, qui musarde, qui s’enivre… Délaisser la technique, le savoir-faire, le métier acquis à coup de repentir… Cultiver la maladresse, l’accueillir, la rendre complice. Joie de la marge, du temps volé, de l’aléatoire. Du trait définitif…  Ecraser la mine, meurtrir le papier, faire briller le graphite… Mauvais papier, mauvais crayon…. Surtout s’en donner à cœur-joie avant que ne sonne la fin de la récrée… Avant que ne reviennent, tyranniques, l’exigence du juste trait et du dessin bien balancé…


Au miroir…

Elle martyrisait à plaisir sa mémoire
C’était au beau milieu de notre tragédie
Le monde ressemblait à ce miroir maudit
Le peigne partageait les feux de cette moire
Et ces feux éclairaient des coins de ma mémoire

 



Au 47 bis de la rue J.J.Rousseau Marion rêvasse ou chante la vie profonde…

La vie profonde

Être dans la nature ainsi qu’un arbre humain,
Étendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l’orage,
La sève universelle affluer dans ses mains ! Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l’espace ! Sentir, dans son coeur vif, l’air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.
- S’élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l’ombre qui descend. Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l’eau,
Et comme l’aube claire appuyée au coteau
Avoir l’âme qui rêve, au bord du monde assise…

 

  Anna de NOAILLES