Huile sur toile. 30 x 40 cm. 2015
Et pendant qu’elle posait pour les photos, les croquis rapides, elle causait, me racontait sa vie de débouleuse.
Elle connaissait tous les bars du Havre, les changements de patrons, les profils de clientèles selon les heures de la nuit, les coins à footeux, les karaokés, les rades d’étudiants. Maintenant elle en avait sa claque des virées, des soirées caniveaux, des retours beurrées, « en taxis les bons jours, pédibus le plus souvent », des lendemains cramés jusqu’à midi. Elle était lasse des patins chargés et des tripotages, des pipes au latex dans les voitures garées en vrac sur les parkings sauvages près des boites de la rue des Magasins Généraux. « Les capotes c’est pas seulement pour les maladies, c’est aussi pour les odeurs… ». Même les grimpettes express à l’hôtel F1 de Gonfreville l’Orcher avaient perdu leur parfum d’aventure. Elles présentaient l’avantage, une fois le coup tiré, de pouvoir garder la chambre. C’était le bénéfice secondaire, la garantie de ronfler sur place, seule. « Parce que les mecs, une fois dégorgé, on les retient pas longtemps… »
Une nuit, dans le fameux hôtel, après l’avoir prise, un gars l’avait cogné sans raison. Juste un coup de poing, à froid. Il lui avait fendu l’arcade. Courte cicatrice en zigzag, le fond du sillon mauve. « Tiens, regarde-moi le boulot de l’interne de garde qui m’a salopée aux urgences ! » Elle avait eu la moitié de la tronche noire et jaune pendant quinze jours. La plainte n’avait rien donnée, pourtant le mec avait payé la piaule avec sa carte bleue, les flics auraient pu le retrouver facilement. Elle avait laissé tomber. « Un coup de poisse, on peut pas tirer des généralités ». Elle multipliait les efforts, essayait tous ceux qui ne la répugnaient pas dans l’espoir de lever le bon. « Un mec qui bosse, pas un feignant… » Elle avait tâté des sites de rencontres mais elle préférait le bruit, la musique, les ambiances moites. « Rien ne vaut le terrain, on est plus vite fixée… »
Elle voulait, comme les autres femmes, un homme à elle. Pour l’aimer, l’admirer, le montrer. Pour le taquiner aussi, le fâcher, le réformer et l’obliger à céder à ses petites envies. Dans son monde idéal elle rêvait de le nourrir, de le gâter, de lui offrir des cravates, d’acheter ses caleçons, de surveiller sa ligne et de vouloir son bien.
Sa vraie vie, sans une moitié à torturer amoureusement, tardait à décoller.
Et puis, surtout, à vingt-trois ans, elle prétendait qu’il était grand temps d’avoir un enfant.
Un très beau texte, tout aussi édifiant qu’émouvant.
Je vous copie un lien vers autre type de rencontre, très moderne et actuel pour beaucoup de nos jeunes …
http://fffaune.blogspot.de/2015/09/blog-post_18.html
Bien à vous
Nathalie
Merci Nathalie pour ce lien. Le billet est admirable. Je vais vite explorer d’autres pages de ce blog. Je vous souhaite de belles fêtes… Merci d’être passée par ici, à très bientôt…
Le temps de mort lente
Tant de morts lentes
Et puis l’enfant né à terme et déjà cadavre.
Sur ce…..Bien à vous.
Françoise.
C’est entendu Françoise : donner la vie, c’est donner la mort. On croit sans doute que celui qui viendra, et qui viendra de nous, rachètera nos pêchés, notre errance, nos erreurs… Nos enfants n’ont de cesse, par un juste retour, de nous assassiner, heureusement symboliquement. Il faut au moins ça pour advenir, pour « persévérer dans son être », pour s’individualiser. Plus ils y parviennent et plus nous les aimons. Nous n’avons pas l’amertume, le regret, le tragique chevillés au corps. Nous sommes soulagés qu’ils ne nous ressemblent pas, qu’ils aient d’autres choix, d’autres luttes, d’autres illusions. Le petit cadavre dont vous parlez connaitra, nous le lui souhaitons, des moments de grâces et d’extases. Il tiendra des femmes dans ses bras, rira parfois, saura peut-être boire et chanter, donnera sans doute un peu de fil à retordre aux travailleurs sociaux ! Qu’importe… La noirceur du monde, tel un tableau de Soulage, accroche aussi la lumière. Passez de belles fêtes de fin d’année… A tout bientôt…
Nos pêchés ???
C’était un clin d’œil de circonstance au petit jésus. Le pêché brille surtout par ses pécheresses. Hélas les dégâts de la laïcité sont tels que la bonne catholique, rigoureuse, dévote, pieuse et tourmentée par les turgescences diaboliques devient rare. Quand nous en levons une, au rayon spiritualité de notre librairie préférée (juste à côté des rayonnages de philosophie qui n’attirent que les raisonneuses) nous raffolons de la pervertir tout en lui promettant des chemins de rédemption. Nous aurions tort de nous gêner : elle nous le pardonne toujours (forcément, elle pardonne à tous ceux qui les ont offensées). Parfois même, par charité, nous poussons le mal assez loin pour qu’elle nous remercie… Bien à vous Françoise…
Oh putain…les bigotes!
Cultivant des fleurs dans le jardin du curé sacrificateur de chats, balayant pliées, rédemptrices, l’autel sacré d’un frôlement de jupon nylon gris souris.
Mais bon dieu ,vos turgescences vont-elles jusqu’à Elles?
Bien à vous.
Un très beau portrait accompagné d’un texte très touchant pour une émouvante »petite fiancée de la nuit ».
JJ
Merci de votre passage Jean-Jacques… Faites moi signe si vous montrez votre travail de peintre un de ces jours prochains… Belles fêtes de fin d’année.