Cavanna, mes seize ans…

Cavanna dessin Soluto Encre de chine sur papier 21 cm x 21 cm 2014

Avec mes 5 francs d’argent de poche j’achetais pieusement Charlie-Hebdo chaque semaine.
J’aimais toutes ses pages ou presque.
Reiser me cueillait systématiquement. Il m’arrachait des rires incontrôlables et me troublait beaucoup quand il parlait amoureusement et irrespectueusement des femmes. Je comprenais que les deux n’étaient pas incompatibles mais ne savais trop que faire de cette découverte.
Berroyer m’enchantait par son humour, son goût de l’anecdote, son écriture drolatique, toujours surprenante, son sens de la chute.
J’aimais aussi beaucoup Sylvie Caster dont l’article rédigé à la suite de la mort de Brel m’avait bouleversé (comme j’aimerais relire ce texte …)
Les dessins de Cabu, ses reportages dessinés, m’en fichaient plein la vue. Je ne le lisais d’ailleurs plus. Je le trouvais trop manichéen mais je le contemplais interminablement.
Et puis il y avait Cavanna. Je le lisais avec une attention soutenue. Bon sang de bonsoir, à chaque fois que j’avais fini son article je me sentais moins bête. On a bien le droit, à seize ans, d’être immodeste. Il venait combattre mon petit monde de préjugés. Il dégommait sec, avec grâce, dans un langage que je recevais cinq sur cinq quoiqu’il ne me fût pas naturel. C’est peu de dire qu’il a dévié le cours de ma vie.
Chez moi on pensait comme tout le monde. Et même, plus précisément, on pensait comme celui qui portait beau. Par exemple, en 74, mes parents votèrent Giscard qui, selon eux, présentait mieux que Mitterrand… On en était là… Autant dire qu’on ne pensait pas. J’aurais pu, j’aurais dû poursuivre sur cette voie. J’aurais été bien plus tranquille !
Mais avec mes cinq francs hebdomadaires (il fallait que je négocie pour pouvoir acheter aussi Métal Hurlant qui, si mes souvenirs sont bons, coûtait les yeux de la tête. Par chance j’étais abonné par une vieille cousine à Pilote Mensuel…) je courais vite à la Maison de la Presse d’Elbeuf pour acheter Charlie.
La paille était dans le fer.
Je voyais à l’œuvre le plaisir de penser sous la plume de Cavanna. Avec ses sujets improbables, décalés par rapport à la plus chaude actualité, son goût de l’argument, son verbe alerte, coloré, son sens de l’humour et du dérisoire, il me poussait à la gamberge.
Du moins le croyais-je à l’époque… Pense-t-on vraiment jamais ? On ne fait que tomber du côté où l’on penche avant même de s’être donné de bonnes raisons pour ne pas basculer vers d’autres bords. Ce qui est sûr c’est que ce temps de lecture était une joie vive, avec un goût de revanche sur la fadeur de mon quotidien d’adolescent.
Je m’étais promis, quand il mourrait, d’aller à son enterrement. Mais pas de bol, ce jour-là j’avais mieux à faire. Que voulez-vous, je manque d’empressement, parfois, à respecter mes promesses.
Et puis honorer ce mort eut été honorer la Mort. On a beau s’employer à l’enfermer dans une métaphore, ce néant-là, parce qu’il est toujours devant nous, fiche les foies.
Marcher lentement, la larme retenue, le nez baissé en guise d’hommage ne vaudra jamais la relecture des Ritals ou des Russkoffs. J’ai eu raison d’économiser mon billet de train, d’avoir boudé le cortège funèbre.
Pas sûr, de toute façon, qu’il aurait goûté la faiblesse de ma venue, lui qui détestait la mort si fort, qui nourrissait même l’espoir de la tuer un jour…

15 réflexions au sujet de « Cavanna, mes seize ans… »

    1. soluto Auteur de l’article

      Merci cher Mitchul… Ton passage me fait grand plaisir. Cavanna mérite sans doute bien mieux! C’est difficile d’aimer, de l’écrire justement, simplement. A bientôt…

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    1. soluto Auteur de l’article

      Ravi de ton passage par ici cher Alain… Un type qui nous met en garde contre l’admiration béate est forcément, à son corps défendant, plus ou moins admirable… Pour ma part je me contente de l’aimer, et je suis bien certain que c’est ce que tu as voulu dire… Pour information ton adresse de site ne fonctionne pas. Et, dis-moi, quand rouvres-tu une galerie? Quand on a Fouvry, Dehaes dans son écurie, et même Soluto, on a presque le devoir de se remettre au charbon…
      Au plaisir Alain et le meilleur pour toi…

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  1. Marignac

    Ce vieux con réac qui écrivait avec ses fesses ?… Avec sa putain de bonne conscience de gros beauf, et ses grosses vannes de dégonflé ? Et toute cette clique de tarés ?
    Pas preneur.
    Si tu veux pas de ce genre de commentaires tu m’oublies dans tes e-mails, et tout de suite. Pigé ?

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    1. soluto Auteur de l’article

      Et comment que je vais le publier ce commentaire chère petite âme corrompue encombrée de noirceur! C’est ce que vous voulez au fond… Qu’on vous distingue sur votre strapontin à clous de paria d’opérette… Votre propos dit qui vous êtes, ce que vous valez et comme vous vous voyez. Toujours l’éternelle chanson du ressentiment. Aurait-on bouder votre prose à Charlie? Ça ne m’étonnerait pas. Votre haine le laisse entendre. Chantez haut votre aigreur mais trouvez au moins la bonne caisse de résonance! Faut-il qu’on ne vous entende pas pour tenter de pourrir un modeste blog comme le mien… Un message privé, courtois, aurait eu le même effet. Je vous aurais supprimé de ma newsletter pareillement (tu penses!)
      Votre petit ton menaçant m’intimide! Vite, vite, je cours vous retirer de mon carnet d’adresses.
      Au plaisir de ne plus vous lire ici…

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  2. Hub de Nantes

    Bah, moi je suis bien content d’avoir reçu le mail ! J’espère que ça va poster souvent ici. Des normands bizarres et des normandes graciles… Un jour je pousserai même vers le nord pour boire une mousse avec Soluto.

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    1. soluto Auteur de l’article

      Oui, oui… Je note: de la normande gracile… Surveille, je vais dégotter ça… Si elles se laissent dessiner je posterai leurs mines réjouies et rosées sans vergogne. Et à bientôt pour cogner nos mousses!

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  3. alain godefroid

    Pas content qu’il est le Monsieur Marignac!
    Sais pas ce qu’il a ce monsieur!… Moi j’adore la clique de tarés de Cavanna.
    C’est sans doute que Monsieur Marignac n’est pas taré.
    Grand bien lui fasse à ce Monsieur Marignac!

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  4. Alph

    Le plaisir de te lire… Un dessin et un texte offrent infiniment plus de relief que toutes les 3D en trompe-l’oeil…
    Ps: Merci pour Lily strip…

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    1. soluto Auteur de l’article

      Ravi que tu sois venu jusqu’à cette page de blog. Nous sommes du temps d’avant… Nous préférons le silence et la lecture, le dessin sur lequel on se penche, plutôt que ces images qu’on nous jette à la figure avant d’avoir pu comprendre de quoi il retournait… L’hyper stimulation du spectateur (façon de lui pré-mâcher le boulot) le prive du plaisir d’aller fouiller ce qu’on lui propose (ce que lui propose les marchands…) Je pense à Tati… Qui saura maintenant prendre le temps de se délecter d’un spectacle où tout se joue dans la nuance, le détail, l’arrière plan? Quant à Lily Strip, crois bien que tout le plaisir est pour moi. Tes dessins, dont j’admire les ambiances et les compositions, sont épatants… Je ne m’en lasse pas… A bientôt…

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  5. macys wedding dresses

    I’ve been surfing on-line greater than three hours as of late, yet I by no means discovered any interesting article like yours. It is pretty value enough for me. In my opinion, if all webmasters and bloggers made just right content material as you probably did, the net will be a lot more useful than ever before.

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    1. soluto Auteur de l’article

      Welcome… Le surf est une promenade incertaine, erratique et vaine. L’on est pourtant parfois récompensé par de jolies découvertes qui rattrapent (presque) le temps perdu… Ravi que vous vous soyez arrêté sur ma page quelques instants et qu’elle vous ait plu. Thank you for your comment and soon …

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      1. Doris

        Bravo M. CAVANNA, voile0 un rital e0 la verdeur inalte9rable, e0 la fois casuuiqte et humain, qui fait admirablement le lien entre les pays et les ge9ne9rations pour notre plus grand bonheur.Il se glisse dans quelques valeurs essentielles : la bonne humeur, la de9rision, l’humour, l’interrogation sur soi-meame et sur notre destine9e, la curiosite9 aux autres face e0 l’insondable myste8re de la connerie.Merci encore M. CAVANNA pour votre simplicite9, votre vivacite9 et votre ouverture aux autres.C’est avec plaisir que nous vous avons fait de9dicacer, le 6 de9cembre 2008 e0 la bibliothe8que CAVANNA de NOGENT, votre brochure CHARLIE HEBDO HORS SERIE CAVANNA RACONTE CAVANNA.Bravo l’artiste !

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