Dont je suis idolâtre…


— En bonne foi, crois-tu, sans t’éblouir les yeux,
Avoir de grands sujets de paraître joyeux ? — Parbleu ! je ne vois pas, lorsque je m’examine,
Où prendre aucun sujet d’avoir l’âme chagrine.
J’ai du bien, je suis jeune, et sors d’une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison ;
Et je crois, par le rang que me donne ma race,
Qu’il est fort peu d’emplois dont je ne sois en passe
Pour le cœur, dont sur tout nous devons faire cas,
On sait, sans vanité, que je n’en manque pas,
Et l’on m’a vu pousser, dans le monde, une affaire
D’une assez vigoureuse et gaillarde manière.
Pour de l’esprit, j’en ai sans doute, et du bon goût
A juger sans étude et raisonner de tout,
A faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant sur les bancs du théâtre,
Y décider en chef, et faire du fracas
A tous les beaux endroits qui méritent des has.
Je suis assez adroit ; j’ai bon air, bonne mine,

Les dents belles surtout, et la taille fort fine.
Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,
Qu’on serait mal venu de me le disputer.
Je me vois dans l’estime autant qu’on y puisse être,
Fort aimé du beau sexe, et bien auprès du maître.
Je crois qu’avec cela, mon cher ami, je crois
Qu’on peut, par tout pays, être content de soi…

Molière

Le Misanthrope, Acte III, Scène première…


5 réflexions au sujet de « Dont je suis idolâtre… »

  1. Pouchka

    Ah je vous retrouve !!! et une preuve de plus que Molière , ce Grand Maître est intemporel … Il doit être heureux que ses textes traversent les styles et les sociétés.JSi je puis me permettre  « Chapeau » !!!

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  2. Klaudandreson

    Je vous échange un JBP contre un VH et comme je n’ai peur de rien, j’y ajoute deux presqu’Alexandrins.

    Un poëte est un monde enfermé dans un homme.
    Plaute en son crâne obscur sentait fourmiller Rome ;
    Mélésigène, aveugle et voyant souverain
    Dont la nuit obstinée attristait l’œil serein
    Avait en lui Calchas, Hector , Patrocle, Achille ;
    Prométhée enchaîné remuait dans Eschylle ;
    Rabelais porte un siècle ; et c’est la vérité
    Qu’en tout temps les penseurs couronnés de clarté,
    Les Shakespeares féconds et les vastes Homères,
    Tous les poëtes saints, semblables à des mères
    Ont senti dans leurs flancs des hommes tressaillir,
    Tous l’un le roi Priam et l’autre le roi Lear.
    …..
    Que dire alors du peintre dont l’art nous émerveille :
    Soluto sur le monde pose un œil sans pareil.

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