
Miss Madeleine Labrèze
L’école des garçons, la veille des vacances d’été. Il pense que ça devait être en 1967. En est-il sûr ? Il répond que oui, presque. Et alors ? Veut-il bien dire ce qui s’est passé en cette fin d’année ? Veut-il bien préciser un peu ? Il croit qu’il peut. Il faut lui arracher les mots avec un chausse-pied à celui-là! Bernardin contient son agacement. Il met les mains à plat sur le bureau, sourit et croit mêler à son sourire beaucoup d’empathie. En lui-même il pense : « va-t-il le cracher son secret à deux balles… » Il sourit encore, un peu plus fort, un peu plus mal. L’autre lève enfin la tête et, pas plus embarrassé que ça, se met à raconter :
– C’était la fin de l’année. De ma première année de grande école. Plus question de travailler. A l’époque il y avait une chanson qui faisait « au feu les cahiers… » Comme c’était l’usage, la veille des vacances, nous faisions des jeux dans la classe. La maîtresse, madame Labrèze (Ben oui, c’était son nom, et nous ne nous privions pas de faire de vilains jeux de mots) en avait trouvé un chouette. Un élève au tableau avait les yeux bandés et un autre se mettait en face. Il fallait qu’il retrouve le nom du copain en le touchant. Pas un mot ne devait être échangé. L’un d’entre nous était particulièrement fort à ce jeu. En fait, nous avions compris qu’il trouvait facilement le nom de son camarade parce qu’il suivait à l’oreille son cheminement à travers la classe, ce qui lui permettait déjà de se faire une idée assez précise de qui il avait en face de lui, en fonction du coin d’où il venait. Et nous avions beau faire de grands efforts de discrétion il devinait toujours de quel pupitre nous arrivions. Quand ce fut à mon tour d’aller en face de lui madame Labrèze mit un doigt sur ses lèvres et me fit signe de ne pas bouger. Elle se déchaussa et vint me chercher, souple et silencieuse comme une chatte. Elle me prit très délicatement dans ses jolis bras nus et me serra contre elle. Nous fîmes un long tour dans la classe, tournant autour des tables pour que le copain aux yeux bandés soit perdu dans ses recherches auditives. Ce fut délicieusement interminable. Je la respirais à pleins poumons, me coulais contre elle, effleurais de ma joue la sienne…Elle me berçait et je sentis…
– Bon ! Ça va ! fit Bernardin. Ça va !… On a pigé !
Comme si Bernardin pouvait piger quelque chose… L’autre était redescendu d’un coup quarante ans en arrière. Il avait retrouvé sur fond d’odeur d’encre et de craie la douce chaleur de juin, la grande lumière d’été, la peau douce et salée de Labrèze…
ça emmène bien le lecteur ce texte bien construit ! Madeleine à la Proust …
ça emmène bien le lecteur ce texte bien construit ! Madeleine à la Proust …
argh ! désolée ! encore un doublon en commentaire ! qu’a donc cette machine??!!