Encre de chine 21 cm x 21 cm, 2014
Portrait d’écrivain
François Cavanna.
Je le lisais avec une attention soutenue chaque semaine dans Charlie. Bon sang de bonsoir, à chaque fois que j’avais fini son article je me sentais moins bête. On a bien le droit, à seize ans, d’être immodeste. Il venait combattre mon petit monde de préjugés. Il dégommait sec, avec grâce, dans un langage que je recevais cinq sur cinq quoiqu’il ne me fût pas naturel. C’est peu de dire qu’il a dévié le cours de ma vie.
Je voyais à l’œuvre, sous sa plume, le plaisir de penser. Avec ses sujets improbables, décalés par rapport à la plus chaude actualité, son goût de l’argument, son verbe alerte, coloré, son sens de l’humour et du dérisoire, il me poussait à réfléchir.
Du moins le croyais-je à l’époque. Nos pensées nous appartiennent-elles vraiment ? J’en suis revenu aussi de cette croyance. Ce qui est sûr c’est que ce temps de lecture était une joie vive, avec un goût de revanche sur la fadeur de mon quotidien d’adolescent.
Je m’étais promis, quand il mourrait, d’aller à son enterrement. Pas de chance, ce jour-là j’avais mieux à faire. Que voulez-vous, je manque d’empressement, parfois, à respecter mes promesses.
D’ailleurs honorer ce mort eut été honorer la Mort. On a beau s’employer à l’enfermer dans une métaphore, ce néant-là, parce qu’il est toujours devant nous, fiche les foies. Cavanna la détestait. Il nourrissait des rêves de jeunesse éternelle. Son livre « Stop-Crève » l’atteste. Qu’aurait-il pensé des délires transhumanistes ?
J’ai eu raison d’économiser mon billet de train, d’avoir boudé le cortège funèbre. À l’idée je ne m’y sentais plus à ma place. Marcher lentement, la larme retenue, le nez baissé, parmi des gens qui ne l’avaient peut-être jamais aimé autant que moi, même en guise d’hommage ne valait pas la relecture des Ritals ou des Russkoffs.
Je m’y mis aussitôt.
Cavanna,
Mon père, le compagnon de mes nuits, mon frère de sang, son père maçon » rital » comme le mien, sa mère morvandelle comme la mienne.
Bon dieu, Soluto, vous y allez fort sur la nostalgie!
Bien à vous.
La nostalgie est une drôle de drogue. Mieux vaut ne pas abuser — même s’il y a parfois de bons shoot, quelques very good trips. On dit que certaines overdoses sont liées à de meilleurs arrivages. La prochaine fois je vérifierai mes dosages. Ravi de vous savoir passant par ici de temps en temps. A bientôt chère Françoise…
Je passe chez vous tous les jours sans forcément frapper à la porte.
Vous m ‘êtes une sorte de drogue.
Ne changez rien à vos dosages, ils sont adaptés à mes réalités.
Amitiés.
Merci Françoise.