Un tableau et une lettre ouverte à l’un de mes copropriétaires…

Il y a longtemps j’ai acquis près du quartier du Rond-point, au Havre, un atelier trop petit où je me replie. J’y cultive mes langueurs et mes joies. J’y peins beaucoup, j’y dessine un peu, je n’y écris plus. J’y écoute souvent de la musique (en ce moment Michel Portal, Gabriele Mirabassi, Richard Galliano, le Quatuor Ébène…). Entre deux coups de pinceaux je fais de douces siestes dans un transat Lafuma si bien rôdé qu’il épouse mes reins, mes fesses et mes épaules mieux qu’une vieille maîtresse. J’aime être entre ses bras. Contrairement à ce que disent la rumeur et de mauvais copains je n’y reçois pas de femmes (presque pas…)

Mon bonheur résiste à tout.

L’un des copropriétaires pourtant m’emmerde (oh, si peu). Il trouve ma voiture, dans notre cour commune, trop large de quelques centimètres. (Et quoi, j’aime les autos qui rugissent, avec un gros moteur entre leurs quatre pneus. Ça suppose une bonne assise. Est-ce ma faute ?) Je mords un peu sur son emplacement. A chaque réunion de copropriété il ne manque jamais de le répéter à la cantonade. Tout le monde s’en fout. Ça l’énerve. J’adore.

J’aime bien le contredire : il vient exciter chez moi des traits de perversions ordinaires que je censure ailleurs. Parfois, sur un ton affectueux qui le déstabilise, je le traite de vieux con dans des mails ouverts à tous les copropriétaires qui m’en sont reconnaissants.

On s’est encore pris de bec. Il me reprochait, en plus de cette histoire de voiture, de ne jamais « donner la main » pour les menus travaux d’entretien de la cambuse. A cause de moi, pour sûr, la toiture n’allait pas manquer de décoller et de s’éparpiller aux quatre vents ! A travers ses récriminations et ses sauts de cabri j’ai senti qu’il nourrissait encore copieusement ses rancœurs, sa colère, son mépris pour l’artiste tête en l’air que je suis à ses yeux chassieux. Sans doute suis-je l’une de ses bêtes noires.

En réponse à son dernier courrier je me suis fendu du courriel (toujours ouvert à tous les coproprios) ci-dessous.

 
Aaahhhh, cher [xxx], merci pour ce bon moment… Je n’en demandais pas plus… C’est un plaisir de vous taquiner.
Je trouve très sain que vous vous agitiez encore ainsi malgré les ruminations qui vous accablent et je ne voudrais pas vous priver de vos petits plaisirs ! Ils donnent un sens à votre vie…
Pourquoi me chercher noises ? Je ne conteste jamais vos travaux et je loue partout votre esprit pondéré, votre grandeur d’âme, votre dévouement cafouilleux, vos contestations paralogiques et votre sens de l’humour.
Je n’irai pas jusqu’à dire que si vous disparaissiez vous nous manqueriez mais à coup sûr la copropriété serait moins pittoresque.
Bah, si ça s’envole on verra bien…  
Bon, j’ai assez parlé avec vous ces derniers temps, je vous laisse un peu jouer tout seul…
Bien amicalement,
Soluto

Je crois que je n’ai pas fini de me garer en vrac…

Et sinon, pour vous distraire fidèles lecteurs, voici un tableau en couleur…

paysage, croquis havrais, dessin, grey, soluto

40 cm par 30 cm- fin 2017, début 2018- acrylique sur panneau…

8 réflexions au sujet de « Un tableau et une lettre ouverte à l’un de mes copropriétaires… »

    1. soluto Auteur de l’article

      Chère Laurence, la vie nous donne chaque jour l’occasion de distractions simples ! Encore faut-il les attraper au vol… Les ronchons ne manquent pas, les bons sourires non plus. Butiner, contourner les chardons, faire son miel du meilleur, savoir que le pire est au coin du bois et le narguer tout de même… (Oh, je sens que j’ai la patate moi, ce matin… Je vais en profiter pour faire un peu de cuisine en écoutant sur YouTube un spectacle de Pierre Desproges. Il est toujours urgent de vivre heureux en attendant la mort…) Ravi que vous soyez passée par ici…

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    1. soluto Auteur de l’article

      Je n’irai tout de même pas jusqu’à déterrer les flingots… Je préfère effectivement affûter mes bâtonnets de saule… Au plaisir Florent…

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  1. celestine

    Vous faites bien de citer Desproges car votre lettre aurait pu être écrite par lui, tant elle est délicieusement irrévérencieuse et jubilatoire.
    Vous avez raison, il y a des plaisirs simples et subtils dans la vie.
    Un portrait en couleurs… je le prends comme une spéciale dédicace.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. soluto Auteur de l’article

      Chère Célestine, je crois que le talent de l’immense Desproges excède mes modestes possibilités, et qu’il aurait troussé une lettre plus cinglante et plus drôle, plus imaginative et plus désespérée. Nous n’avons pas la même tessiture.
      J’ai pensé à vous en postant ce panneau en forme de clin d’œil. Vous êtes tombée dedans pour mon plaisir.
      A très bientôt Célestine…

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