Un éclair… puis la nuit !

portrait soluto dessin portraitLavis d’encre de chine sur une feuille Canson 21 cm x 29,7 cm. Août 2015

De l’âpre râpe, qui nous occupait tant, il fût à peine question…
J’arrivai mal lavé de mes rancœurs, fâché d’être où je n’aurais pas cru, portant mon arriéré et mes désirs déboités. Les ajustements à coups de marteau brûlent du désir de plaire : que de poses, d’effets, de pauses et de faux plats.
Sur le grand pont de bois le temps était aux jus de fruits. Nous avons bu du vin, de la bière. Ses oreilles, qu’une aile de papillon éventait à l’italienne, chauffaient comme des quartiers d’oranges sanguines. La mer d’acier brossé était affreusement plate et l’ombre bleue des parasols nous évitait. Nous cheminions, à demi-éblouis, au bord du flou, à la myope. Le vers m’était venu en la voyant apparaitre. Je devais le couver depuis longtemps.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse.
La lumière transperçait son corsage. Elle était magnifique, plus en traits qu’en volumes.
Je rêvais donc aussitôt de grand deuil.
Comme il fallait sourire nous devînmes sérieux. Je pris la mouche pour m’envoler un peu. Je n’allais pas bien loin : l’art de la conversation ne se maitrise qu’avec indifférence. Ah, si l’on pouvait s’éloigner de soi. Le moindre égard corrompt tout, bride l’irrévérence, leste les élans. Badiner suppose qu’on cultive la part de mépris due à chacun. Nous n’étions pas à la hauteur et je m’en accusais.
La conversation savonnait. Je lui pardonnais tout par facilité. Pour ne pas paraître cuistre, à propos de verres à pied, je me retins d’évoquer Deleuze. Plus tard je pensais aussi à l’amie Nane de Toulet.
A la fin de notre entretien je la raccompagnai jusqu’à son canot. Son grand cou supportait un sourire composé. Mon pas était égal au sien, mon souffle peut-être aussi. Elle marchait droit. Agile et noble, avec sa jambe de statue.
J’étais triste d’être déçu, de n’avoir pas su nous bouger d’un iota, de ne pas l’avoir reconnue. Qu’espérais-je ? Voulais-je vraiment boire, crispé comme un extravagant, la douceur qui fascine et le plaisir qui tue ?
Nous n’avons rien tissé, rien retenu. Nous avons tricoté lâche et tout a filé.
Je n’ai pas vu germer l’ouragan.

10 réflexions au sujet de « Un éclair… puis la nuit ! »

  1. Célestine

    Un de vos plus beaux textes, assurément.
    Vous écrivez comme vous peignez. Avec cette force des mains qui étranglent les mots dans la gorge.
    Je le relirai souvent. Rien que pour avoir l’âme emportée.

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    1. soluto Auteur de l’article

      J’en suis ravi chez FreZ… Le hasard, toujours indifférent (mais à qui on prête beaucoup) aura eu l’effet heureux de vous amener jusqu’ici. Maintenant que vous connaissez le chemin revenez de votre plein gré: on se félicite, sur cette page, du passage des visiteurs de qualité…

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