Scène de la vie moderne n°25

Comment? ni riche, ni coquette, ni amoureuse? Ce n’est pas tout cela qu’il te faut, hein? Mais lascive, grasse, avec une voix rauque, la chevelure couleur de feu et des chairs rebondissantes. Préfères-tu un corps froid comme la peau des serpents, ou bien de grands yeux noirs, plus sombres que les cavernes mystiques? Regarde-les, mes yeux! Antoine, malgré lui, les regarde. Toutes celles que tu as rencontrées, depuis la fille des carrefours chantant sous sa lanterne jusqu’à la patricienne effeuillant des roses du haut de sa litière, toutes les formes entrevues, toutes les imaginations de ton désir, demande-les! Je ne suis pas une femme, je suis un monde. Mes vêtements n’ont qu’à tomber, et tu découvriras sur ma personne une succession de mystères! Antoine claque des dents. Si tu posais ton doigt sur mon épaule, ce serait comme une traînée de feu dans tes veines. La possession de la moindre place de mon corps t’emplira d’une joie plus véhémente que la conquête d’un empire. Avance tes lèvres! mes baisers ont le goût d’un fruit qui se fondrait dans ton coeur! Ah! comme tu vas te perdre sous mes cheveux, humer ma poitrine, t’ébahir de mes membres, et brûlé par mes prunelles, entre mes bras, dans un tourbillon… Flaubert
La tentation de saint Antoine

6 réflexions au sujet de « Scène de la vie moderne n°25 »

  1. François Matton

    Ouuh ! Particulièrement impressionnant.
    Je ne suis pas sûr que Flaubert aurait apprécié de voir ce dessin associé à son Saint-Antoine (puisqu’il ne supportait pas l’idée d’être « illustré »), mais c’est très fort.

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  2. Pouchka

    C’est un tableau de Bruegel qui a inspiré Flaubert pour écrire « La tentation de St Antoine » … ,  Dali aussi a peint « la tentation de St Antoine  » …
    Cette lutte avec le Diable , le bien et le mal  a toujours inpiré les differents artistes dont les peintres . Tout comme vous .
    Décidement , vous nous donnez envie de lire relire ce normand qu’est Flaubert  et de connaitre St Antoine .

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  3. Soluto

    > Oh! Milène! mais ça faisait un drôle de bail que vous n’aviez pas laissé un commentaire sur ce blog! Je suis heureux de vous compter toujours parmi mes lecteurs… Et je vous souhaite beaucoup de plaisir avec cet écrit de Flaubert… Ce texte halluciné se déguste comme un alcool fort. Prudence: il est ennivrant et sublime… > Vous avez raison, François, il n’aurait pas apprécié! Il m’aurait alors peut-être honoré d’une belle gueulante (enfin s’il avait daigné jeté un oeil sur la représentation de sa tentatrice…) Le bonhomme était sanguin, colérique et puissant… son verbe dévastateur m’aurait régalé… Je ne me serais pas formalisé! peut-être même que je me serais risqué à aller lui tirer de nouveau la moustache… Vous ne savez pas comme je suis taquin… > Merci Pouchka de ces rappels… Le sujet est bien moins intéressant (enfin, moi, ces histoires-là, le bien, le mal, le diable et ses tentations, ce n’est pas ce qui m’enthousiasme le plus…) a priori que ce qu’en fait Gustave! L’on est saisi par la force des images que cet auteur génial fait naître… Je vous recommande aussi (mais vous le connaissez bien sûr) la lecture de son Saint Julien… là encore, c’est du costaud… Merci encore de vos passages…
     

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  4. Milène.

    Votre réponse Soluto (et je vous en remercie…), me fait penser à ce texte de Beaudelaire qui dit entre autre ceci : « Il faut être toujours ivre, tout est là; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre; il faut vous eniver sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise, mais enivrez-vous ! » Alors si l’écrit de Flaubert se déguste comme un alcool fort, j’irai doucement… mais sans modération !

     
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  5. Deny

    Bonjour, ou soir…
    Je viens si souvent sur ce blog et depuis longtemps, souvent je lis et même relis des textes, d’abord par curiosité pour la première fois et puis toujours par plaisir.
    Il est vrai que je n’ai jamais laissé de commentaire, pas très urbain je vous l’accorde M. Soluto, mais cette fois je me sents si fier d’avoir à en faire un. Je vais me justifier un peu, ça empli l’espace et puis ça soulage ma conscience. D’abord je n’osais pas commenter, par respect (mauvais mot) ou peut-être par courtoisie (pas terrible non plus)vis-à-vis de l’auteur et certainement par admiration (c’est mieux, je crois).
    J’aime vraiment ces dessins, et la force, toute la force, celle qui me retient sur vos pages, elle vient du texte.
    Si j’avais voulu faire court j’aurais dis que ça déchire sa race.
     

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